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2ème Partie histoire d´un conscrit de 1813 chapitre XVIII

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2ème Partie histoire d´un conscrit de 1813 chapitre XVIII Empty 2ème Partie histoire d´un conscrit de 1813 chapitre XVIII

Message par Invité Lun 1 Déc 2008 - 20:13

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2ème partie. Chapitre XVIII


Le sergent Pinto et Zébédé vinrent un instant plus tard. Zébédé me dit:
«Nous avons encore eu de la chance cette fois, nous deux, Joseph; nous sommes les derniers Phalsbourgeois au bataillon à cette heure... Klipfel vient d'être haché par les hussards!
– Tu l'as vu? lui dis-je tout pâle.
– Oui, il a reçu plus de vingt coups de sabre, il criait: »Zébédé! Zébédé!»
Un instant après, il ajouta:
«C'est terrible tout de même d'entendre appeler au secours un vieux camarade d'enfance sans pouvoir l'aider... Mais ils étaient trop... ils l'entouraient!»
Cela nous rendit tristes, et les idées du pays nous revinrent encore une fois. Je me figurais la grand-mère Klipfel, lorsqu'elle apprendrait la nouvelle, et cette pensée me fit aussi songer à Catherine!
Depuis la charge des hussards jusqu'à la nuit, le bataillon resta dans la même position, à tirailler contre les Prussiens. Nous les empêchions d'occuper le bois; mais ils nous empêchaient de monter sur la côte. Nous avons su le lendemain pourquoi. Cette côte domine tout le cours de la Partha, et la grande canonnade que nous entendions venait de la division Dombrowski, qui attaquait l'aile gauche de l'armée prussienne, et qui voulait porter secours au général Marmont à Mockern: là vingt mille Français, postés sur un ravin, arrêtaient les quatre-vingt mille hommes de Blücher; et du côté de Wachau, cent quinze mille Français livraient bataille à deux cent mille Autrichiens et Russes; plus de quinze cents pièces de canon tonnaient. Notre pauvre petite fusillade sur la côte de Witterich était comme le bourdonnement d'une abeille au milieu de l'orage. Et même quelquefois nous cessions de tirer de part et d'autre pour écouter... Cela me paraissait quelque chose d'épouvantable et pour ainsi dire de surnaturel; l'air était plein de fumée de poudre, la terre tremblait sous nos pieds; les vieux soldats comme Pinto disaient qu'ils n'avaient jamais rien entendu de pareil.
Vers six heures, un officier d'état-major remonta sur notre gauche, porter un ordre au colonel Lorain, et presque aussitôt on sonna la retraite. Le bataillon avait perdu soixante hommes, par la charge des hussards prussiens et la fusillade.
Il faisait nuit lorsque nous sortîmes de la forêt, et sur le bord de la Partha, – parmi les caissons, les convois de toute sorte, les corps d'armée en retraite, les détachements, les voitures de blessés qui défilaient sur deux ponts, – il nous fallut attendre plus de deux heures pour arriver à notre tour. Le ciel était sombre, la canonnade grondait encore de loin en loin, mais les trois batailles étaient finies. On entendait bien dire que nous avions battu les Autrichiens et les Russes à Wachau, de l'autre côté de Leipzig, mais ceux qui revenaient de Mockern étaient sombres, personne ne criait: Vive l'Empereur! comme après une victoire.
Une fois sur l'autre rive, le bataillon descendit la Partha d'une bonne demi-lieue, jusqu'au village de Schoenfeld; la nuit était humide; nous marchions d'un pas lourd, le fusil sur l'épaule, les yeux fermés par le sommeil et la tête penchée.
Derrière nous, le grand défilé des canons, des caissons, des bagages et des troupes en retraite de Mockern prolongeait son roulement sourd; et, par instants, les cris des soldats du train et des conducteurs d'artillerie, pour se faire place, s'élevaient au-dessus du tumulte.
Mais ces bruits s'affaiblissaient insensiblement, et nous arrivâmes enfin près d'un cimetière, où l'on nous fit rompre les rangs et mettre les fusils en faisceau.
Alors seulement je relevai la tête et je reconnus Schoenfeld au clair de lune. Combien de fois j'étais venu manger là de bonnes fritures et boire du vin blanc avec Zimmer, au petit bouchon de la Gerbe-d'Or, sous la treille du père Winter, quand le soleil chauffait l'air et que la verdure brillait autour de nous!... Ces temps étaient passés!
On plaça les sentinelles; quelques hommes entrèrent au village pour chercher du bois et des vivres. Je m'assis contre le mur du cimetière et je m'endormis. Vers trois heures du matin je fus éveillé.
«Joseph, me disait Zébédé, viens donc te chauffer; si tu restes là, tu risques d'attraper les fièvres.»
Je me levai comme ivre de fatigue et de souffrance. Une petite pluie fine tremblotait dans l'air. Mon camarade m'entraîna près du feu, qui fumait sous la pluie. Ce feu n'était que pour la vue, il ne donnait point de chaleur; mais Zébédé m'ayant fait boire une goutte d'eau-de-vie, je me sentis un peu moins froid et je regardai les feux du bivac qui brillaient de l'autre côté de la Partha.
«Les Prussiens se chauffent, me dit Zébédé; ils sont maintenant dans notre bois.
– Oui, lui répondis-je, et le pauvre Klipfel est aussi là-bas; il n'a plus froid, lui!»
Je claquais des dents. Ces paroles nous rendirent tristes. Quelques instants après, Zébédé me demanda:
«Te rappelles-tu, Joseph, le ruban noir qu'il avait à son chapeau le jour de la conscription? Il criait:
– «Nous sommes tous condamnés à mort comme» ceux de la Russie... Je veux un ruban noir... Il faut «porter notre deuil!» Et son petit frère disait:
«Non, Jacob, je ne veux pas!» Il pleurait, mais Klipfel mit tout de même le ruban: il avait vu les hussards dans un rêve!»
A mesure que Zébédé parlait, je me rappelais ces choses, et je voyais aussi ce gueux de Pinacle sur la place de l'Hôtel-de-Ville, qui me criait, en agitant un ruban noir au-dessus de sa tête: «Hé! boiteux, il te faut un beau ruban, à toi... le ruban de ceux qui gagnent...Arrive!»
Cette idée, avec le froid terrible qui m'entrait jusque dans la moelle, me faisait frémir. Je pensais: «Tu n'en reviendras pas... Pinacle avait raison... C'est fini!» Je songeais à Catherine, à la tante Grédel, au bon M. Goulden, et je maudissais ceux qui m'avaient forcé de venir là.
Sur les quatre heures du matin, comme le jour commençait à blanchir le ciel, quelques voitures de vivres arrivèrent; on nous fit la distribution du pain, et nous reçûmes aussi de l'eau-de-vie et de la viande.
La pluie avait cessé. Nous fîmes la soupe en cet endroit, mais rien ne pouvait me réchauffer; c'est là que j'attrapai les fièvres. J'avais froid à l'intérieur et mon corps brûlait. Je n'étais pas le seul au bataillon dans cet état, les trois quarts souffraient et dépérissaient aussi; depuis un mois, ceux qui ne pouvaient plus marcher s'étendaient par terre en pleurant, et appelaient leur mère comme de petits enfants. Cela vous déchirait le coeur. La faim, les marches forcées, la pluie et le chagrin de savoir qu'on ne reverra plus son pays ni ceux qu'on aime, vous causaient cette maladie. Heureusement, les parents ne voient pas leurs enfants périr le long des routes; s'ils les voyaient, ce serait trop terrible: bien des gens croiraient qu'il n'y a de miséricorde ni sur la terre ni dans le ciel.
A mesure que le jour montait, nous découvrions à gauche – de l'autre côté de la rivière et d'un grand ravin rempli de saules et de trembles –, les villages brûlés, les tas de morts, les caissons et les canons renversés et la terre ravagée aussi loin que pouvait s'étendre la vue sur les routes de Hall, de Lindenthal et de Dolitzch: c'était pire qu'à Lutzen. Nous voyions aussi les Prussiens se déployer dans cette direction et s'avancer par milliers sur le champ de bataille. Ils allaient donner la main aux Autrichiens et aux Russes, et fermer le grand cercle autour de nous; personne maintenant ne pouvait les en empêcher, d'autant plus que Bernadotte et le général russe Beningsen, restés en arrière, arrivaient avec cent vingt mille hommes de troupes fraîches. Ainsi notre armée, après avoir livré trois batailles en un seul jour, et réduite à cent trente mille combattants, allait être prise dans un cercle de trois cent mille baïonnettes, sans compter cinquante mille chevaux et douze cents canons!
De Schoenfeld, le bataillon se remit en marche pour rejoindre la division à Kohlgarten. Sur toute la route, on voyait s'écouler lentement les convois de blessés; toutes les charrettes du pays avaient été mises en réquisition pour ce service, et, dans les intervalles, marchaient encore des centaines de malheureux, le bras en écharpe, la figure bandée, pâles, abattus, à demi morts. Tout ce qui pouvait se traîner ne montait pas en charrette et tâchait pourtant de gagner un hôpital.
Nous avions mille peines à traverser cet encombrement, lorsque tout à coup, en approchant de Kohlgarten, une vingtaine de hussards, arrivant ventre à terre et le pistolet levé, firent rebrousser la foule à droite et à gauche dans les champs. Ils criaient d'une voix éclatante:
«L'Empereur! l'Empereur!»
Aussitôt le bataillon se rangea, présentant les armes au bas de la chaussée, et, quelques secondes après, les grenadiers à cheval de la garde – de véritables géants, avec leurs grandes bottes, et leurs immenses bonnets à poil qui descendaient jusqu'aux épaules, ne laissant voir que le nez, les yeux et les moustaches –, passèrent au galop, la poignée du sabre serrée sur la hanche. Chacun était content de se dire: «Ceux-là sont avec nous... ce sont de rudes gaillards!»
A peine avaient-ils défilé, que l'état-major parut... Figurez-vous cent cinquante à deux cents généraux, maréchaux, officiers supérieurs ou d'ordonnance, – montés sur de véritables cerfs, et tellement couverts de broderies d'or et de décorations, qu'on voyait à peine la couleur de leurs uniformes, – les uns grands et maigres, la mine hautaine; les autres courts, trapus, la face rouge; d'autres plus jeunes, tout droits sur leurs chevaux comme des statues, avec des yeux luisants et de grands nez en bec d'aigle: c'était quelque chose de magnifique et de terrible!
Mais ce qui me frappa le plus, au milieu de tous ces capitaines qui faisaient trembler l'Europe depuis vingt ans, c'est Napoléon avec son vieux chapeau et sa redingote grise; je le vois encore passer devant mes yeux, son large menton serré et le cou dans les épaules. Tout le monde criait: «Vive l'Empereur!» – Mais il n'entendait rien... il ne faisait pas plus attention à nous qu'à la petite pluie fine qui tremblotait dans l'air... et regardait, les sourcils froncés, l'armée prussienne s'étendre le long de la Partha, pour donner la main aux Autrichiens. Tel que je l'ai vu ce jour-là, tel il m'est resté dans l'esprit.
Le bataillon s'était remis en marche depuis un quart d'heure quand Zébédé me dit:
«Est-ce que tu l'as vu, Joseph?
– Oui, lui répondis-je, je l'ai bien vu, et je m'en souviendrai toute ma vie.
– C'est drôle, fit mon camarade, on dirait qu'il n'est pas content... A Wurtschen, le lendemain de la bataille, il paraissait si joyeux en nous entendant crier: «Vive l'Empereur!» et les généraux avaient aussi des figures riantes! Aujourd'hui, tous font des mines du diable... Le capitaine disait pourtant, ce matin, que nous avons remporté la victoire de l'autre côté de Leipzig.
Bien d'autres pensaient la même chose sans rien dire; l'inquiétude vous gagnait...
Nous trouvâmes le régiment au bivac, à deux portées de fusil de Kohlgarten. Le bataillon prit sa position à droite de la route, sur une colline.
Dans toutes les directions, on voyait les feux innombrables des armées dérouler leur fumée dans le ciel. Il tombait toujours de la bruine, et les hommes assis sur leurs sacs en face des petits feux, les bras croisés, semblaient tout rêveurs. Les officiers se réunissaient entre eux. On entendait répéter de tous les côtés qu'on n'avait jamais vu de guerre pareille... que c'était une guerre d'extermination... que cela ne faisait rien à l'ennemi d'être battu, et qu'il voulait seulement nous tuer du monde, sachant bien qu'à la fin il lui resterait quatre ou cinq fois plus d'hommes qu'à nous, et qu'il serait le maître.
On disait aussi que l'Empereur avait gagné la bataille à Wachau contre les Autrichiens et les Russes; mais que cela ne servait à rien, puisque les autres ne s'en allaient pas et qu'ils attendaient des masses de renforts. Du côté de Mockern, on savait que nous avions perdu, malgré la belle défense de Marmont: l'ennemi nous avait écrasés sous le nombre. Nous n'avions eu qu'un seul véritable avantage en ce jour, c'était d'avoir conservé notre point de retraite sur Erfurt; car Ginlay n'avait pu s'emparer des ponts de l'Elster et de la Pleisse. Toute l'armée, depuis le simple soldat jusqu'au maréchal, pensait qu'il fallait battre en retraite le plus tôt possible, et que notre position était très mauvaise. Malheureusement l'Empereur pensait le contraire: il fallait rester!
Tout ce jour du 17, nous demeurâmes en position sans tirer un coup de fusil. – Quelques-uns parlaient de l'arrivée du général Reynier avec seize mille Saxons; mais la défection des Bavarois nous avait appris quelle confiance on pouvait avoir dans nos alliés.
Vers le soir, on annonça que l'on commençait à découvrir l'armée du nord sur le plateau de Breitenfeld: c'étaient soixante mille hommes de plus pour l'ennemi. Je crois entendre encore les malédictions qui s'élevaient contre Bernadotte, les cris d'indignation de tous ceux qui l'avaient connu simple officier du temps de la République et qui disaient: «Il nous doit tout; nous l'avons fait roi de notre propre sang, et maintenant il vient nous donner le coup de grâce!»
La nuit, il se fit un mouvement général en arrière; notre armée se resserra de plus en plus autour de Leipzig, ensuite tout revint calme. Mais cela ne vous empêchait pas de réfléchir; au contraire, chacun pensait dans le silence:
«Que va-t-il arriver demain? Est-ce qu'à cette même heure je verrai la lune monter entre les nuages comme je la vois? Est-ce que les étoiles brilleront encore pour mes yeux?»
Et quand on regardait, dans la nuit sombre, ce grand cercle de feu qui nous entourait sur une étendue de près de six lieues, on s'écriait en soi-même:
«Maintenant tout l'univers est contre nous, tous les peuples demandent notre extermination... ils ne veulent plus de notre gloire!»
On songeait ensuite qu'on avait pourtant l'honneur d'être Français, et qu'il fallait vaincre ou mourir.
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