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Histoire d'un conscrit Chapitre XVIII

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Message par Invité Lun 1 Déc 2008 - 20:10

1er partie
Histoire d'un conscrit
de 1813

Chapitre XVIII

Le bataillon commençait à descendre la colline en face de Leipzig, pour rejoindre notre division, lorsque nous vîmes un officier d état-major traverser la grande prairie au-dessous et venir de notre côté ventre à terre. En deux minutes il fut près de nous; le colonel Lorain courut à sa rencontre, ils échangèrent quelques mots, puis l'officier repartit. Des centaines d'autres allaient ainsi dans la plaine porter des ordres.
«Par file à droite!» cria le colonel, – et nous prîmes la direction d'un bois en arrière qui longe la route de Duben environ une demi-lieue. C'était une forêt de hêtres, mais il s'y trouvait aussi des bouleaux et des chênes. Une fois sur la lisière, on nous fit renouveler l'amorce de nos fusils, et le bataillon fut déployé dans le bois en tirailleurs. Nous étions échelonnés à vingt-cinq pas l'un de l'autre, et nous avancions en ouvrant les yeux, comme on peut s'imaginer. Le sergent Pinto disait à chaque minute:
«Mettez-vous à couvert!»
Mais il n'avait pas besoin de tant nous prévenir; chacun dressait l'oreille et se dépêchait d'attraper un gros arbre pour regarder à son aise avant d'aller plus loin. – A quoi pourtant des gens paisibles peuvent être exposés dans la vie!
Enfin nous marchions ainsi depuis dix minutes, et, comme on ne voyait rien, cela commençait à nous rendre de la confiance, lorsqu'un coup de feu part... puis encore un, puis deux, trois, six, de tous les côtés, le long de notre ligne, et dans le même instant je vois mon camarade de gauche qui tombe en cherchant à se retenir contre un arbre. Cela me réveille... Je regarde de l'autre côté, et qu'est-ce que je découvre à cinquante ou soixante pas? Un vieux soldat prussien – avec son petit chapeau à chaînette, le coude replié, ses grosses moustaches rousses penchées sur la batterie de son fusil –, qui m'ajuste en clignant de l'oeil. Je me baisse comme le vent. A la même seconde j'entends la détonation, et quelque chose craque sur ma tête; j'avais mon fourniment, la brosse, le peigne et le mouchoir dans mon shako: la balle de ce gueux avait tout cassé. Je me sentais tout froid.
«Tu viens d'en échapper d'une belle!» me cria le sergent en se mettant à courir; et moi qui ne voulais pas rester seul dans un pareil endroit, je le suivis bien vite.
Le lieutenant Bretonville, son sabre sous le bras, répétait:
«En avant! en avant!...»
Plus loin sur la droite, on tirait toujours.
Mais voilà que nous arrivons au bord d'une clairière où se trouvaient cinq ou six gros troncs de chênes abattus, une petite mare pleine de hautes herbes, et pas un seul arbre pour nous couvrir. Malgré cela, plusieurs s'avançaient hardiment, quand le sergent nous dit:
«Halte!... les Prussiens sont, bien sûr, en embuscade aux environs, ouvrons l'oeil.»
Il avait à peine dit cela, qu'une dizaine de balles sifflaient dans les branches et que les coups retentissaient; en même temps, un tas de Prussiens allongeaient les jambes et entraient plus loin dans le fourré.
«Les voilà partis. En route!» dit Pinto.
Mais le coup de fusil de mon shako m'avait rendu bien attentif, je voyais en quelque sorte à travers les arbres; et comme le sergent voulait traverser la clairière, je le retins par le bras en lui montrant le bout d'un fusil qui dépassait une grosse broussaille, de l'autre côté de la mare, à cent pas devant nous.
Les camarades, s'étant approchés, le virent aussi; c'est pourquoi le sergent dit à voix basse:
«Toi, Bertha, reste ici... ne le perds pas de vue. Nous autres, nous allons tourner la position.»
Aussitôt ils s'éloignèrent à droite et à gauche, et moi, la crosse à l'épaule, derrière mon arbre, j'attendis comme un chasseur à l'affût. Au bout de deux ou trois minutes, le Prussien, qui n'entendait plus rien, se leva doucement; il était tout jeune, avec de petites moustaches blondes et une haute taille mince bien serrée. J'aurais pu l'abattre pour sûr; mais cela me fit une telle impression de tuer cet homme ainsi découvert, que j'en tremblais. Tout à coup il m'aperçut et sauta de côté; alors je lâchai mon coup, et je respirai de bon coeur en voyant qu'il se sauvait à travers le taillis comme un cerf.
En même temps, cinq ou six coups de fusil partirent à droite et à gauche; le sergent Pinto, Zébédé, Klipfel et les autres passèrent d'un trait, et cent pas plus loin, nous trouvâmes ce jeune Prussien par terre la bouche pleine de sang. Il nous regardait tout effrayé, en levant le bras comme pour parer les coups de baïonnette. Le sergent lui dit d'un air joyeux:
«Va, ne crains rien, tu as ton compte!»
Personne n'avait envie de l'achever; seulement Klipfel prit une belle pipe qui sortait de sa poche de derrière, en disant:
«Depuis longtemps je voulais avoir une pipe, en voilà pourtant une!
– Fusilier Klipfel, s'écria Pinto vraiment indigné, voulez-vous bien remettre cette pipe! C'est bon pour les Cosaques de dépouiller les blessés! Le soldat français ne connaît que l'honneur!»
Klipfel jeta la pipe, et finalement nous repartîmes de là sans tourner la tête. Nous arrivâmes au bout de cette petite forêt, qui s'arrêtait aux trois quarts de la côte; des broussailles assez touffues s'étendaient encore à deux cents pas jusqu'au haut. Les Prussiens que nous avions poursuivis se trouvaient cachés là-dedans. On les voyait se relever de tous les côtés pour tirer sur nous, puis aussitôt après ils se baissaient.
Nous aurions bien pu rester là tranquillement; puis nous avions l'ordre d occuper le bois, ces broussailles ne nous regardaient pas; derrière les arbres où nous étions, les coups de fusil des Prussiens ne nous auraient pas fait de mal. Nous entendions de l'autre côté de la côte une bataille terrible, les coups de canon se suivaient à la file et tonnaient quelquefois ensemble comme un orage: c'était une raison de plus pour rester. Mais nos officiers, s'étant réunis, décidèrent que les broussailles faisaient partie de la forêt et qu'il fallait chasser les Prussiens jusque sur la côte. Cela fut cause que bien des gens perdirent la vie en cet endroit.
Nous reçûmes donc l'ordre de chasser les tirailleurs ennemis, et comme ils tiraient à mesure que nous approchions, et qu'ils se cachaient ensuite, tout le monde se mit à courir sur eux pour les empêcher de recharger. Nos officiers couraient aussi, pleins d'ardeur. Nous pensions qu'au bout de la colline les broussailles finiraient, et qu'alors nous fusillerions les Prussiens par douzaines. Mais dans le moment où nous arrivons en haut, tout essoufflés, voilà que le vieux Pinto s'écrie:
«Les hussards!»
Je lève la tête, et je vois des colbacks qui montent et qui grandissent derrière cette espèce de dos d'âne: ils arrivaient sur nous comme le vent. A peine avais-je vu cela, que sans réfléchir je me retourne et je commence à redescendre, en faisant des bonds de quinze pieds, malgré la fatigue, malgré mon sac et malgré tout. Je voyais devant moi le sergent Pinto, Zébédé et les autres, qui se dépêchaient et qui sautaient en allongeant les jambes tant qu'ils pouvaient. Derrière, les hussards en masse faisaient un tel bruit, que cela vous donnait la chair de poule: les officiers commandaient en allemand, les chevaux soufflaient, les fourreaux de sabre sonnaient contre les bottes, et la terre tremblait.
J'avais pris le chemin le plus court pour arriver au bois; je croyais presque y être, quand, tout près de la lisière, je rencontre un de ces grands fossés où les paysans vont chercher de la terre glaise pour bâtir. Il avait plus de vingt pieds de large et quarante ou cinquante de long; la pluie qui tombait depuis quelques jours en rendait les bords très glissants; mais comme j'entendais les chevaux souffler de plus en plus, et que les cheveux m'en dressaient sur la nuque, sans faire attention à rien, je prends un élan et je tombe dans ce trou sur les reins, la giberne et la capote retroussées presque par-dessus la tête, un autre fusilier de ma compagnie était déjà là qui se relevait; il avait aussi voulu sauter. Dans la même seconde, deux hussards, lancés à fond de train, glissaient le long de cette pente grasse sur la croupe de leurs chevaux. Le premier de ces hussards, la figure toute rouge, allongea d'abord un coup de sabre sur l'oreille de mon pauvre camarade, en jurant comme un possédé; et comme il relevait le bras pour l'achever, je lui enfonçai ma baïonnette dans le côté de toutes mes forces. Mais en même temps, l'autre hussard me donnait sur l'épaule un coup qui m'aurait fendu en deux sans l'épaulette; il allait me percer, si, par bonheur, un coup de fusil d'en haut ne lui avait cassé la tête. Je regardai, et je vis un de nos soldats enfoncé dans la terre glaise jusqu'à mi-jambes. Il avait entendu les hennissements des chevaux et les jurements des hussards, et s'était avancé jusqu'au bord du trou pour voir ce qui se passait.
«Eh bien, camarade, me dit-il en riant, il était temps!»
Je n'avais pas la force de lui répondre; je tremblais comme une feuille. Il ôta sa baïonnette, et me tendit le bout de son fusil pour m'aider à remonter. Alors je pris la main de ce soldat, et je lui dis:
«Vous m'avez sauvé!... Comment vous appelez-vous?»
Il me dit que son nom était Jean-Pierre Vincent. J'ai souvent pensé depuis que, s'il m'arrivait de rencontrer cet homme, je serais heureux de lui rendre service; mais le surlendemain eut lieu la seconde bataille de Leipzig, ensuite la retraite de Hanau, et je ne l'ai jamais revu.
.../...
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